Le buveur de liberté

Le buveur de liberté est un cheval mais ce n'est pas un cheval ordinaire.
Il a choisi de fuir les humains dont les agissements l'ont déçu.
Il se lance au galop dans la découverte du monde,
traverse différents pays, fait des tas de rencontres et bien sûr
cette fuite devient une véritable quête initiatique.

 Pourquoi avoir choisi un cheval pour porter sur les
agissements humains ce regard naïf et plein d'espoir ?

Les chevaux véhiculent beaucoup de choses dans l'inconscient collectif :

ils sont synonymes de beauté, force, rapidité, courage, endurance, générosité, liberté... bien sûr.
Depuis leur domestication, bien tardive en comparaison des autres animaux domestiques,
les chevaux ont été les esclaves des hommes ; ils les ont transportés
d'un point cardinal à l'autre, d'un pays à l'autre, d'une conquête à
l'autre. Pour le meilleur et pour le pire, ils les ont rapprochés et
ont été, des siècles durant, leur force première. Ils ont péri par
millions dans leurs guerres, sué et peiné sous le harnais, dans la mine
ou dans les champs, ont donné leur sang et leur chair pour le bien-être des hommes.

De nos jours, le cheval tient une place toute particulière dans notre vie et notre imaginaire.
Pas tout à fait animal de compagnie, pas tout à fait animal domestique,
il fascine souvent par sa beauté, intimide aussi tous ceux qui n'ont jamais appris à le côtoyer.
Les poneys permettent aux enfants de découvrir la passion de l'équitation
et renouent les adultes avec le côté naturel du contact animal.

L'histoire de l'humanité est étroitement liée à la domestication du cheval.
Que serions-nous devenus si ce fidèle serviteur avait, comme Quo-Vadis, choisi de nous fuir ?
J'ai trouvé très intéressant de me poser cette question et de lâcher les rênes de mon imagination.

 

Inexplicablement, il se sentait attiré par l'obscurité profonde, tout là-bas, droit devant lui, où se noyait la lumière.

Les yeux perdus dans l'infinitude du ciel livré au ballet des étoiles, enivré des parfums de la nuit et de sa jeune liberté,

il écoutait le chant de l'univers monter en lui et l'entraîner dans sa gigantesque résonance, comme une grande crue libératrice à laquelle il s'abandonna totalement. Sa conscience chavira alors et pétrifié dans sa dernière attitude, tendu vers les ténèbres,

il vit un troupeau immense surgir de la masse sombre de la forêt et galoper vers lui comme un seul cheval.

 
Le bruit de leur course ne ressemblait en rien au tumulte impérieux des centaines de sabots lancés dans cette charge furieuse, c'était une musique fantastique, un roulement de percussion divin qui s'enflait un peu comme la voix unique et mélodieuse d'un chœur s'élevant dans la coupole d'une cathédrale. De seconde en seconde, ils se rapprochaient. Il y en avait de toutes sortes, de toutes tailles et parmi eux des poulains très jeunes aux jambes effilées, serrés les uns contres les autres et qui s'accordaient à merveille aux mouvements des adultes qui les encadraient. Ils furent à un moment donné si près que Quo-Vadis put lire dans leurs prunelles l'irradiation d'une joie indescriptible.
 
- Qui êtes-vous ? souffla Quo-Vadis
- Les humains m'appellent Cœur-de-Lion et voici Shogun.
Le cheval à tête blanche avança le chanfrein par-dessus l'encolure de son voisin et Quo-Vadis remarqua que ses yeux n'étaient pas de la même couleur.
- D'où viens-tu, lui demanda ce dernier d'un ton qu'il crut enjoué.
- De très loin, j'ai voulu fuir les humains…
- Ne cherche plus à les fuir, conseilla Cœur-de-Lion dont la tranquille assurance tranchait avec la nervosité de Shogun.
Dans l'obscurité qui s'installait, l'alezan n'était plus visible que par la grande tâche blanche qui englobait l'un de ses yeux et ses naseaux. C'est avec une sorte de gravité lasse qu'il renchérit :
- Il y a des choses que tu dois savoir pour rester en vie. Ne leur résiste jamais, fais tout ce qu'ils te demanderont.
Le rouan se tourna brusquement vers lui comme pour lui ordonner de se taire. Il reprit quand même mais sur un autre ton :

- Cœur-de-Lion est un brave, il n'a jamais fui…
- On n'a jamais vu fuir un cheval de bataille, lui rétorqua son voisin, au cœur de la mêlée, c'est comme si rien d'autre n'existait, le plus doux des agneaux se transforme en lion pour sauver sa vie, c'est ça le courage. Rien d'autre.
Quo-Vadis qui les avait écoutés avec une perplexité grandissante, ne put s'empêcher de dire :
- La fuite n'est pas forcément une lâcheté. Que deviennent ceux qui n'ont pas ton courage Cœur-de-Lion ?
 
Il n'avait pas quitté des yeux le loup noir qui, le regard rasant, se plaça à pas comptés sur sa droite. Au lieu de pivoter pour continuer à faire face au chef et offrir ainsi ses flancs vulnérables à la meute, il resta dans le même axe jusqu'à ce que celui-ci parvînt à hauteur de sa hanche ; alors avec la rapidité de l'éclair, il virevolta à gauche et chargea la meute en poussant un cri de guerre rauque. La surprise fit s'éparpiller les six loups qui n'avaient jamais vu une victime isolée réagir ainsi et tailla une brèche dans leur ligne d'attaque où s'engouffra le cheval.
Aussitôt la meute se précipita à sa poursuite en hurlant de dépit. La petite avance que lui avait donnée sa tactique, décuplait chez lui une énergie insoupçonnée. Mais ses assaillants furent rapidement sur ses jarrets car ses sabots ne pouvaient rivaliser sur ce terrain avec leurs coussinets rompus à ces courses de la faim. Il entendait leurs mâchoires claquer autour de ses postérieurs et avec l'énergie du désespoir, il rua plusieurs fois sans cesser de galoper.

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